dimanche 2 avril 2006

Etudiant-diant-diant


Aînée discrète mais au regard bienveillant lointainement posé sur un jeune frère aimé dont j’ai la douloureuse impression qu’il trouverait glamour de verser dans la revendication politique quelque peu poussive, ce qui m’apparaît comme la dernière marche avant le port d’un burnous rasta, et m’espérant par ailleurs écoutée avec respect, je ferai mienne aujourd’hui cette lumineuse assertion d’un homme lucide : « L’humanité est un cafard. La jeunesse est son ver blanc. »

manif_etudiantsRevendiquer, contester, se révolter, s’exercer à la composition de subtils haïkus de qualité (« C’est qui la racaille ? C’est eux la racaille ! »), certes, c’est bel et bon, et mieux vaut une conscience caricaturale que pas de conscience du tout.
Néanmoins, de là à exulter à l’idée de se transformer en masse de chair à pâté pleine de volonté et de zèle, envisageant de se protéger des agressions policières au moyen d'un foulard ethnique imbibé de jus de citron et le numéro d’un avocat glissé dans la poche, il y a un pas bien inutile à franchir, estime-je.
Le simple fait que le jeune soit sincèrement convaincu (par qui ? Jean-Pierre Pernaut ?) du danger dans lequel il se jette avec courage en participant à des manifestations pacifiques pour essayer de reporter la date de ses examens terminaux (ne nous leurrons pas), me laisse dans un embarras croissant.

Nihiliste pessimiste et gauchiste de cœur (maman écoutait beaucoup Jean Ferrat), je suis aujourd'hui confrontée à un affreux dilemme dans l’éducation intellectuelle de mon jeune fils de quatre ans, qui, les mains pleines de purée verte, résume souvent avec une étonnante décontraction mes leçons politiques de cette délicieuse façon : « Chirac est méchant : il vole l’argent des pauvres, et Sarkozy a des pistolets et des fusils. », ce à quoi je m’efforce de répondre en souriant sereinement: « C’est très vrai, crapaud, mais que cela ne t’empêche pas de devenir médecin, après quoi tu auras tout loisir de voir ce que tu peux faire pour arranger ça. Allez maintenant, lis-moi donc ce qui est écrit sur ton pot de yaourt, chéri, et vite. » (Entre temps, il avait fini sa purée verte, évidemment, je suis assez stricte en ce qui concerne ces rituels fondateurs).
Et je dois avouer que sans aucun doute, le jour où il déchirera ses draps de pilou pour en faire une banderole bourrée de jurons, une volée de bois vert tentera de le remettre sur le droit chemin, comptez en cela sur son père et moi.

Tout comme le jeune, et celui qui le reste dans sa tête (comprendre : le militant de la LCR de plus de vingt-sept ans, pas le père de famille grisonnant qui s’offre un break conjugal), je suis contre (contre en général, je veux dire).
D’ailleurs je fais grève (certes, pour dormir, si vous suivez). Je suis même franchement engagée politiquement, j'ai ma carte de l'ARBR (l'Association des Amis de Robespierre), ce n'est pas rien tout de même !
Et si je suis pétrie de la conscience aiguë qu’on ne fait pas la révolution en composant des bouquets de bonbons roses, cela dit, on ne me prendra jamais à brailler dans un cortège grégaire, ni à observer d’un œil tendre les réguliers engouements estudiantins, comme disent les profs d’histoire contemporaine cyniques. A croire que le désir de revendication s’estompe avec l’âge, et qu'il est déjà arrivé, le jour où je suis devenue un vieux con.
Ne croyez pas que cela me satisfasse ! C’est un choc pénible que d’entrevoir les limites de sa foi !

Ce que je veux dire, c’est que ces mouvements pleins de romantisme et de naïveté sont, au fond, très charmants, mais qu’un Dieu miséricordieux fasse que la puissance cérébrale des créatures que j’engendre les épargne de ces pathétiques splendeurs de la jeunesse. Mon jeune frère aussi, par la même occasion.

Bande-son: Panique au Mangin Palace (du 2 avril 2006), l'émission fanfaronne de Philippe Collin, France Inter.


Aucun commentaire: