Le sein dans la littérature














Sur la plage de Chesil

Entre Edward et Florence, rien n'allait vite. Les avancées importantes, la permission qu'elle lui donnait en silence d'aller plus loin dans ce qu'il avait le droit  de voir ou de caresser, ne s'obtenaient que graduellement. Le jour d'octobre où il entrevit pour la première fois ses seins nus précéda de plusieurs semaines le moment où il put les toucher - le 19 décembre. Il les embrassa en février, mais pas les pointes, que ses lèvres n'effleurèrent qu'une seule fois, en mai. Elle-même ne s'autorisait à explorer son corps à lui qu'avec une prudence plus grande encore.



Sur la plage de Chesil, Ian McEwan (2007) (page 31 Folio poche n° 5007).



Les contes de Canterbury

chaucer5La fille était forte et bien développée,
Nez camus, les yeux clairs comme le verre,
Les fesses rebondies, les seins ronds et hauts,
Mais les cheveux superbes -je ne mens pas.
Le curé de l'endroit, voyant sa beauté,
Etait décidé à faire d'elle son héritière
De son bien meuble et de son bien immeuble,
Et rendait ardu le choix d'un époux.
Il souhaitait la marier noblement
A un descendant de haute lignée.
Il voulait qu'elle fît un très beau mariage
En s'alliant à une noble et vieille race.
Car il sied que les biens de Sainte Eglise
Profitent à race issue de Sainte Eglise.
Il voulait honorer sa sainte race
Au risque de dévorer la Sainte Eglise.
Extrait du "Conte du régisseur", issu desContes de Canterbury, de Geoffrey Chaucer (1400).




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Les Souffrances du jeune Werther

werther    Toute la force de ces paroles tomba sur l'infortuné. Il en fut accablé. Il se jeta aux pieds de Charlotte dans le dernier désespoir; il lui prit les mains, qu'il pressa contre ses yeux, contre son front et un pressentiment de son projet affreux semblait passer dans l'âme de Charlotte. Ses sens se troublèrent; elle lui serra les mains, les pressa contre son sein; elle se pencha vers lui avec attendrissement, et leurs joues brûlantes se touchèrent. Le monde s'anéantit pour eux. Il la prit dans ses bras, la serra contre son coeur, et couvrit ses lèvres tremblantes et balbutiantes de baisers furieux. "Werther! dit-elle d'une voix étouffée et en se détournant, Werther!" et d'une main faible elle tâchait de l'écarter de son sein. "Werther!", s'écria-t-elle enfin, du ton le plus imposant et le plus noble. Il n'opposa aucune résistance, la laissa aller de ses bras, et se jeta à terre devant elle comme un forcené. Elle s'arracha de lui, et, toute troublée, tremblante entre l'amour et la colère, elle lui dit: "Voilà la dernière fois, Werther! vous ne me revoyez plus." Et puis, jetant sur le malheureux un regard plein d'amour, elle courut dans la pièce voisine, et s'y renferma. Werther lui tendit les bras, et n'osa pas la retenir.
Extrait du roman passionné et tourmenté, soit romantique, de Johann Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, 1774.


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Sexus

sexus_cleopatreLes anges ont le droit de porter la tiare ou le chapeau melon, au gré de leur caprice, si nous devons en croire les divagations de certains visionnaires; pourtant on ne les a jamais présentés comme des déments. Pas plus que leur nudité n'a jamais passé pour une provocation à la luxure.
Mais Mélanie pouvait être aussi ridicule qu'un ange de Swedenborg et aussi provocante qu'une brebis en chaleur pour le berger solitaire.
Ses cheveux blancs ne faisaient que mieux souligner le leurre frémissant de sa chair; ses yeux étaient d'un noir de jais; son sein, ferme et plein; sa hanche, telle un champ magnétique.
Mais plus on réfléchissait à sa beauté, plus sa démence semblait obscène. Elle donnait l'illusion d'aller et de venir nue, de vous inviter à la chatouiller pour la faire rire, de ce rire bas et effrayant qui sert aux fous à enregistrer leurs réactions imprévisibles.
Elle me hantait comme un feu rouge que l'on aperçoit en pleine nuit, de la portière d'un train, et qui fait que l'on se demande soudain si le mécanicien veille ou s'est endormi.
De même que, dans un moment pareil, trop paralysé par la peur pour bouger ou parler, on se demande quelle sera la nature précise de la catastrophe, de même, songeant à la beauté démente de Mélanie, je m'abandonnais souvent à d'extatiques rêveries charnelles, pensant aux variétés que j'avais connues et explorées et à celles qu'il me restait à découvrir.
S'embarquer sans réserve dans l'aventure charnelle, éveille le sens du danger.
Maintes fois, j'avais connu d'expérience la terreur et la fascination qu'éprouve le pervers, quand, dans le métro archicomble, il cède à l'impulsion de flatter un cul tentant ou de serrer le charmant téton qui s'offre à portée de sa main.
Extrait de Sexus, Henry Miller, 1949.
Première partie de la "Crucifixion en rose" (avant Plexus en 1952 et Nexus en 1960).


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Brooklyn Follies

paulausterLa séquence de six pages totalisant plus d'une douzaine de photos était intitulée "Rory la Magnifique", et on l'y voyait à différents degrés de nudité et de provocation: parée d'une nuisette transparente sur l'une, en porte-jarretelles et bas noirs sur une autre et puis, à partir de la quatrième page, ce n'était plus que Rory intégrale, de la tête aux pieds, cajolant ses seins menus, se caressant le sexe, pointant le cul, écartant les jambes au point de ne rien laisser à l'imagination, et sur chacune de ces images elle souriait, riait même parfois, les yeux illuminés par une bouffée exubérante de joie de vivre et de candeur, sans la moindre trace de réticence ni d'anxiété, paraissant s'amuser comme une folle.
"Ca m'a quasiment tué, raconta Tom. En deux secondes, ma queue était molle comme de la guimauve. Je  me suis reculotté, j'ai bouclé ma ceinture et je suis sorti de là le plus vite possible. Ca m'avait lessivé, Nathan. Ma petite soeur, posant dans une revue porno. Et découvrir ça d'une façon aussi terrible - la foudre tombant d'un ciel bleu, dans cette foutue clinique, à l'instant même où j'allais éjaculer. J'en étais malade, malade d'écoeurement."...
Pour savoir ce que deviennent Tom, Nathan et Rory la Magnifique, il suffit de lire le brooklynien "Brooklyn Follies" de Paul Auster (2005), le plus beau et le plus sexy des merveilleux romancier vivant et parlant français! Paul! Paul! Paul!

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Les chatouilles

Sursum corda! Debout les seins! Haut les coeurs blancs!
Les doigts sont délicats autour des aréoles.
La poitrine fleurie a trouvé ses corolles
Et des frissons d'amour courent le long des flancs.
Comme une ciel gonflé sous des rumeurs d'arbre
Le sein vaste a pâli sous les veines de sang
Et le mamelon chaud se dresse rougissant
Sur une dureté lumineuse de marbre.
Oh! la démangeaison des seins! Oh! lentement
Les chatouilles au bout des ongles s'allumant
Avec les feux du rut dans la nuit des prunelles...
Et la chair croit sentir deux poignards assassins
Entrer, mouillés encor des vulves éternelles
Dans la rigidité douloureuse des seins.
soft
Pierre Louÿs, "Et ta bouche en peau de lys...", 8 novembre 1890.
Recueil de poèmes érotiques illustrés de 141 photos vraiment très trèsinconvenantes (interdit aux mineurs) (la photo que j'ai prise pour illustrer est excessivement soft).

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La forêt des renards pendus

cristina1   A l'origine, la famille de Cristine était allemande. Dans le Berlin de l'époque de Hindenburg, on logeait souvent des familles nombreuses pauvres dans les maisons de pierre neuves, car elles étaient encore humides après le passage des plâtriers et donc malsaines pour la bonne bourgeoisie. La famille de Cristine avait essuyé les plâtres de dizaines de logements, six mois ou un an dans chaque, fournissant sa chaleur humaine à de riches Allemands. Les miséreux y gagnaient en général, en plus d'un logement gratuit, la tuberculose, la coqueluche et des rhumatismes. Les parents de Cristine avaient sauvé leur peau en émigrant au Danemark. Les choses ne s'améliorèrent guère là-bas, la goutte les tourmentait sans pitié. La maisonnée était pauvre, et dès que les seins et les fesses de Cristine avaient atteint le volume voulu, elle était partie pour Copenhague comme serveuse dans une brasserie. Des hommes à la barbe mousseuse de bière lui avaient suggéré un moyen facile et agréable de gagner de l'argent. La pauvre et jolie Cristine s'était sans tarder laissé tenter par cette possibilité. Par pudeur, elle était partie pour Stockholm, où elle pouvait exercer son nouveau métier sans avoir à craindre que sa famille n'aprenne la chose. Cristine tenait à protéger ses chers vieux parents goutteux. Elle leur envoyait au Danemark mille marks par mois de pension alimentaire.
   Pour conclure, Cristina versa quelques larmes. Cette histoire la rendait toujours terriblement triste, même si elle n'avait rien de véridique. Mais les hommes voulaient toujours connaître son passé, et cette version était sa préférée.
Extrait de mon roman préféré d'Arto Paasilinna, La forêt des renards pendus, 1983.



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Une histoire d'amour et de ténèbres

   Depuis lors, je me sens bien en compagnie des femmes. Comme grand-père Alexandre. Et même si, au cours des années, j'ai appris deux ou trois choses et me suis mordu les doigts, je crois toujours -comme ce soir-là, dans la chambre d'Orna- que les femmes détiennent les clés du plaisir. Je trouve l'expression "accorder ses faveurs" plus juste et pertinente que n'importe quelle autre. Les faveurs des femmes suscitent en moi, outre le désir et l'émerveillement, une gratitude enfantine et l'envie de m'incliner: je ne suis pas digne de ces merveilles, je serais reconnaissant pour une seule goutte de rosée, alors que dire de tout l'océan... Et je me sens comme un mendiant à la porte: la femme est tellement plus grande que moi, car c'est elle qui décide de donner ou non.
   Et j'éprouve peut-être aussi une certaine jalousie pour la sexualité féminine, tellement plus riche, délicate et subtile, comme le violon comparé au tambour. Et il y a sans doute là un lointain écho des premiers jours de ma vie: un sein contre un couteau. Dès ma venue au monde, une femme m'attendait, à qui j'avais causé de grandes souffrances et qui, en retour, m'avait offert son amour et donné le sein. Le genre masculin, en revanche, me guettait à l'entrée, le couteau du circonciseur à la main.
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Extrait plein d'amour de la grande oeuvre d'Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténébres, 2002.



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Le cher disparu

Dennis, en ouvrant la porte marquée " Renseignements", se trouva dans une salle de banquet aux poutres apparentes. Le Chant d'amour hindouétait toujours là, qui fusait doucement des boiseries de chêne. D'entre ses compagnes, se leva une jeune fille de cette nouvelle race de jeunes filles délicieuses, aimables et compétentes qu'il avait rencontré partout aux Etats-Unis. Elle portait une blouse blanche, et sur le sein gauche, que le soutien-gorge faisait pointer, étaient brodés les mots:Hôtesse funéraire.
lecherdisparu2
- Puis-je vous être utile à quelque chose?
- Je suis venu pour des obsèques.
- Est-ce pour vous?
- Sûrement pas. Est-ce que j'ai l'air tellement moribond?
- Plaît-il?
- Est-ce que j'ai l'air d'être sur le point de mourir?
- Mais non. Seulement beaucoup de nos amis aiment à prendre des Arrangements Avant Terme. Voulez-vous venir par ici?
Elle le fit sortir dans le hall et passer dans un couloir aux tons doux. Là, le décor était dix-huitième siècle. Le Chant d'amour hindou se termina pour être remplacé par une voix de rossignol. Dans un petit salon aux cretonnes fleuries, Dennis s'assit avec son hôtesse pour conclure leurs arrangements.
Extrait du délicieux roman Le cher disparu, d'Evelyn Waugh, 1949. Ce qui suit et précède vaut vraiment le coup d'oeil, glisse-je subrepticement. C'est publié chez 10/18. Et l'illustration est une photo de l'album de Claire Brétécher, Les Frustrés, qui vaut également plusieurs coups d'yeux, mais ce n'est pas à vous que je l'apprendrai.

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La vieille fille

balzac1Quelques personnes pourraient croire que mademoiselle Cormon cherchait tous les moyens d'arriver à son but; que, parmi les légitimes artifices permis aux femmes, elle s'adressait à la toilette, qu'elle se décolletait, qu'elle déployait les coquetteries négatives d'un magnifique port d'armes. Mais point! Elle était héroïque et immobile dans ses guimpes comme un soldat dans sa guérite. Ses robes, ses chapeaux, ses chiffons, tout se confectionnait chez des marchandes de mode d'Alençon, deux soeurs bossues qui ne manquaient pas de goût. Malgré les instances de ces deux artistes, mademoiselle Cormon se refusait aux tromperies de l'élégance; elle voulait être cossue en tout, chair et plumes; mais peut-être les lourdes façons de ses robes allaient-elles bien à sa physionomie.  Se moque qui voudra de la pauvre fille!  vous la trouverez sublime, âmes généreuses qui ne vous inquiétez jamais de la forme que prend le sentiment, et l'admirez là où il est!   Ici quelques femmes légères essaieront peut-être de chicaner la vraisemblance de ce récit, elles diront qu'il n'existe pas en France de fille assez niaise pour ignorer l'art de pêcher un homme, que mademoiselle Cormon est une de ces exceptions monstrueuses que le bon sens interdit de présenter comme type; que la plus vertueuse et la plus niaise fille qui veut attraper un goujon trouve encore un appât pour armer sa ligne. Mais ces critiques tombent, si l'on vient à penser que la sublime religion catholique, apostolique et romaine, est encore debout en Bretagne et dans l'ancien duché d'Alençon. La foi, la piété, n'admettent pas ces subtilités.
Extrait du très moderne et très drôle roman La vieille fille, d'Honoré de Balzac.


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L'île du jour d'avant

eco4Roméo de cette fuyante terre sainte, amoureux volage, il voulait être le vent qui lui agitait les cheveux, l'eau du matin qui lui baisait le corps, la robe qui la pressait la nuit, le livre qu'elle pressait le jour, le gant qui lui tiédissait la main, le miroir qui pouvait l'admirer dans toutes les poses... Une fois il sut qu'on lui avait offert un écureuil, et il se rêva petit animal curieux qui, sous ses caresses, glissait son museau innocent entre les seins virginaux, tandis que de la queue il lui flattait la joue.
Extrait suggestif de l'incroyable roman L'Ile du jour d'avant, d'Umberto Eco, 1994.

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Le lièvre de Vatanen

A Turenki, ils avaient passé la nuit dans une ferme. Vatanen s'était exhibé trois jours durant dans le village, jusqu'à la veille du réveillon, et pendant tout ce temps la beuverie avait continué dans une allégresse désinvolte, pourtant épuisante, d'un point de vue aussi bien intellectuel que physique, selon la fille.
Et de Turenki ils étaient allés fêter Noël à Janakkala, chez les parents de la fille. Vatanen avait acheté de beaux cadeaux pour tous les membres de la famille, un baromètre pour sa mère, une série de pipes pour son père, un bracelet pour sa soeur et un xylophone pour la plus petite. Au réveillon, Vatanen avait été charmant, la famille avait écouté ses propos avec intérêt, son bonhomme de père avait sorti du tiroir de la commode son meilleur cognac et on l'avait bu. Vatanen avait tenu dans la nuit de grands discours et embrassé la mère de Leila entre les seins, mais personne ne s'en était offusqué.
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Extrait de l'excellent roman champêtre Le lièvre de Vatanen, d'Arto Paasilinna, 1975.

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Histoire d'une vie

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Maman referma le livre et s'endormit. Je restai un long moment à suivre les bruissements dans le wagon. Soudain, une grande te robuste serveuse surgit de la partie du wagon qui m'était cachée, s'agenouilla, me regarda et me demanda mon prénom.
Je le lui dis.
"Et quel âge as-tu?"
Sa question me fit rire pour une raison inconnue mais je lui répondis.
"Et où te rends-tu ainsi?
- A la maison.
- Un beau garçon voyage vers une belle ville", dit-elle. Ses propos ne m'amusaient pas mais je ris pourtant. Elle me tendit ses deux grandes paumes et dit:
"Pourquoi ne me donnerais-tu pas tes mains? Ne voudrais-tu pas être mon ami?"
Je posai mes mains sur ses paumes.
Elle les embrassa et dit: "De belles mains." Un plaisir inconnu traversa mon corps.
"Viens chez moi et je te donnerai quelque chose de bon", dit-elle en m'attrapant et en me soulevant. Ses seins étaient gros et chauds, mais la hauteur me donna le vertige.
Elle avait une cabine au bout du wagon. Dans la cabine il y avait un lit pliant, une commode et une armoire.
"Viens, on va te donner quelque chose de bon. Que veux-tu?" demanda-t-elle en me faisant asseoir sur le lit pliant.
"De la halwa, dis-je curieusement.
- De la halwa! s'étonna-t-elle. Mais seuls les fils de paysans en mangent. Les fils de la noblesse mangent des mets plus délicats.
- Quoi?
- Je vais te montrer", répondit-elle, et elle attrapa mes deux jambes, ôta d'un geste mes chaussures et mes chaussettes, enfouit  mes orteils dans sa bouche et dit "C'est bon, très bon." Le contact était agréable mais me faisait frissonner.

Extrait dérangeant du bouleversant écrit d'Aharon Appelfeld, Histoire d'une vie, 1999.

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De mal en pis

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Extrait de la bande-dessinée De mal en pis, d'Alex Robinson, 2001, qui a nourri un débat houleux au sein de mon couple (seul point d'accord: cette bédé est globalement naze).


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Mémoires d'une jeune fille rangée

Vers la même époque, le lever devint un traumatisme si douloureux qu'en y pensant le soir, avant de m'endormir, ma gorge se serrait, mes mains devenaient moites. Quand j'entendais le matin la voix de ma mère, je souhaitais tomber malade tant j'avais horreur de m'arracher à l'engourdissement des ténèbres. Le jour, j'avais de vertiges; je m'anémiais. Maman et le médecin disaient : "C'est la formation." Je détestais ce mot, et le sourd travail qui se faisait dans mon corps. J'enviais aux "grandes jeunes filles" leur liberté; mais je répugnais à l'idée de voir mon torse se ballonner; j'avais entendu, autrefois, des femmes adultes uriner avec un bruit de cataracte; en pensant aux outres gonflées d'eau qu'elles enfermaient dans leur ventre, je ressentais le même effroi que Gulliver le jour où de jeunes géantes lui découvrirentleurs seins.
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Depuis que j'en avais éventé le mystère, les livres prohibés m'effrayaient moins qu'autrefois; souvent je laissais traîner mon regard sur les morceaux de journaux suspendus dans les w-c. C'est ainsi que je lus un fragment de roman-feuilleton où le héros posait sur les seins blancs de l'héroïne des lèvres ardentes. Ce baiser me brûla; à la fois mâle, femelle et voyeur, je le donnais, le subissais et je m'en remplissais les yeux. Assurément, si j'en éprouvai un émoi si vif, c'est que déjà mon corps s'était éveillé; mais ses rêveries cristallisèrent autour de cette image; je ne sais combien de fois je l'évoquai avant de m'endormir.
Extrait des subtiles Mémoires d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir, 1958.

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Plexus

100_4704Retournant dans mon esprit ma conversation avec Sadie, songeant à la sombre tristesse qui régnait chez eux, je commençai à me dire que ma mère avait peut-être raison de se méfier des catholiques. Nous ne faisions pas de prières chez nous, pourtant tout tournait rond. Personne dans notre famille ne parlait jamais de Dieu. Pourtant Dieu n'avait jamais puni aucun de nous. J'arrivai à la conclusion que les catholiques étaient superstitieux de nature, exactement comme les sauvages. D'ignorants idolâtres. Gens circonspects, timides, qui n'avaient pas le cran de penser par eux-mêmes. Je décidai de ne plus jamais aller à la messe. Quelle prison que leur Eglise! Soudain -éclair fortuit- il me vint à l'esprit qu'elle ne serait peut-être pas si pauvre, la famille de Sadie, si on n'y pensait pas tant à Dieu. Tout allait à l'Eglise, c'est-à-dire aux prêtres, qui étaient toujours à quémander de l'argent. Je n'avais jamais aimé la vue d'un prêtre. Trop onctueux et patelins pour mon goût. Non, le diable les emporte! Et au diable leurs cierges, leurs rosaires, leurs crucifix- et leur Vierge Marie!































Extrait sans nichon, certes, mais d'actualité (nous sommes tous le sauvage de quelqu'un, à méditer), de Plexus, deuxième partie de La crucifixion en rose, l'autobiographie merveilleuse d'Henry Miller (1952).





























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Le jour avant le lendemain

100_1591   Oui, elle était vraiment une vieille femme gâtée. Elle avait eu des enfants et une longue vie sans maladie. Parfois elle avait éprouvé de la fatigue, bien sûr, mais jamais elle n'avait été possédée par le mal. Une seule fois, elle avait senti que son âme était en train de quitter son corps. Cela était arrivé quand elle avait donné naissance à son second enfant. Un petit être malingre qui refusait de téter l'abondance de ses seins. Comme l'enfant n'arrivait pas à les vider, elle avait ressenti de la fièvre et une grande faiblesse et avait dû rester sur la couche, incapable de travailler.
   Alors Attungak était allé chercher le cousin de son beau-frère, Komak. Un vieil homme édenté qui vivait des faveurs de sa famille. Komak était un grand gourmand, incapable de résister à la délicieuse graisse des lampes, et c'est lui qui vida ses seins après chaque tétée. Lorsqu'il l'eut ainsi vidée de son lait pendant quelques jours, la fièvre et la fatigue la quittèrent et, par reconnaissance, elle laissa le vieil homme continuer à téter. Il continua pendant les deux années que vécut l'enfant, jusqu'à ce qu'elle sente qu'elle n'avait plus rien à donner.
Extrait du court roman, ce qui n'en fait pas un petit, Le jour avant le lendemain, de Jorn Riel, 1975.

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100_2461

Le lendemain, je suis arrivé de bonne heure: à neuf heures pile. Catherine d'Aragon, une femme merveilleuse, la Reine d'Angleterre, la compagne de lit d'Henry VIII-cela, je le savais déjà. Sans nul doute, Miss Hopkins avait découvert dans ce livre la vie intime de Catherine et d'Henry. Ces passages traitant de l'amour- ont-ils ravi Miss Hopkins? Son dos a-t-il frissonné? A-t-elle respiré plus fort, sa poitrine s'est-elle gonflée, une mystérieuse démangeaison a-t-elle agacé ses doigts? Bien sûr que oui, et qui sait? Elle a peut-être même hurlé de joie et senti un étrange bouleversement au tréfonds de son être, l'appel de la féminité. Oui, aucun doute là-dessus. Quelle merveille, quelle beauté à méditer longuement. J'ai donc tendu le bras vers le livre, puis je l'ai pris à deux mains. Voilà! Dire qu'hier seulement elle l'avait tenu entre ses doigts chauds, et qu'aujourd'hui il était mien. Merveilleux. Un acte du destin. Un miracle de succession. Quand nous serons mariés, j'en parlerai à Miss Hopkins. Nous serons allongés nus au lit, j'embrasserai ses lèvres, j'aurai un léger rire de triomphe et je lui dirai que j'ai vraiment commencé de l'aimer le jour où je l'ai vue lire certain livre. Et je rirai encore, mes dents blanches scintilleront, mes yeux noirs romantiques jetteront des éclairs, et je lui avouerai enfin la vérité de mon éternel et brûlant amour. Alors elle se serrera contre moi, ses beaux seins plantureux et blancs toucheront mon buste, et les larmes ruisselleront sur son visage tandis que je l'emporterai sur d'interminables vagues d'extase.
Quelle journée!


Extrait du premier opus secret de ce cinglé d'Arthuro Bandini, La Route de Los Angeles, de John Fante (prononcez "fane'té"), 1933. Quel homme!

 

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Les arabes dansent aussi

kashuaJe revois le jour où, pour la première fois, Naomie avait posé sa tête sur mon épaule, avant qu'elle ne m'avoue son amour, avant que nous sortions ensemble. Un souvenir fugace et indicible.
Une semaine avant mon hospitalisation, j'avais posé ma tête sur sa poitrine; elle m'avait caressé les cheveux en disant: "Ecoute. Ne m'appelle plus. Tu comprends? Arrêtons là, sinon ma mère me mettra à la porte." Elle avait ajouté que sa mère préférait avoir une fille lesbienne plutôt qu'une fille qui sorte avec un Arabe.
Extrait du passionnant roman Les arabes dansent aussi, de Sayed Kashua, 2003.

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La femme de hasard

amaria4"Fanny, dit-elle, rends-moi ma montre."
Fanny leva les yeux, feignant de ne pas comprendre.
"Quoi?
- Ma montre. Tu l'as volée. Rends-la moi, s'il te plaît.
- Je ne comprends pas.
- Tu es une voleuse. Ca fait déjà quelque temps que tu me voles mes affaires. Je suis au courant."
Fanny ne dis rien.
"Rends-moi ma montre."
Fanny produisit la montre de Maria, qu'elle avait dissimulée dans son soutien-gorge,entre ses seins. Elle se leva et s'avança vers Maria, qui recula contre l'évier. Fanny lui tendit la montre. Lorsque Maria la saisit, Fanny lui agrippa le poignet et serra très fort. Puis elle se pencha en avant et la mordit à l'épaule. Maria poussa un cri, et Fanny quitta la pièce sans mot dire.
Maria trouva ce comportement quelque peu surprenant, quoiqu'elle fût généralement pleine d'indulgence pour les faiblesses d'autrui, et à la suite de cet incident ses relations avec Fanny connurent un très léger froid.

Extrait d'un roman dont l'héroïne est une sorte de moi-même (la pimpance en moins), La femme de hasard, de Jonathan Coe, 1987.
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100_0592"Che vuol dir", chante-t-elle d'une voix qui n'est guère qu'un chuchotement- "Che vuol dir questa solitudine immensa? Ed io, continue-t-elle, che sono?"
  Silence. La solitudine immensa n'offre pas de réponse. Même le trio dans son coin ne pipe pas.
"Viens! chuchote-t-elle, viens vers moi, je t'en supplie, mon Byron!" Elle ouvre grands les bras, étreignant les ténèbres, étreignant ce qu'elles vont lui apporter.
  Elle voudrait qu'il vienne, porté par la brise, qu'il se love sur elle et l'enlace, qu'il enfouisse son visage entre ses seins. Ou alors, elle voudrait qu'il arrive porté par l'aurore, surgissant à l'horizon comme un dieu-soleil qui la baignerait dans sa chaleur radieuse. D'une manière ou d'une autre, elle veut qu'il lui revienne.
Extrait de Disgrâce, J. M. Coetzee









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Des jours avec...
Beau sein déja presque remply,
Bien qu'il ne commence qu'à poindre,
Tetons qui ne font pas un ply,
Et qui n'ont garde de se joindre.
De jeunesse ouvrage accomply,
Que du fard il ne faut pas oindre.
Si l'un est rond, dur & poly,
L'autre l'égale & n'est pas moindre.
Sein par qui les Dieux sont tentez,
Digne échantillon de beautez
Que le jour n'a point regardées.
Il garentit ce qu'il promet,
Et remplit toutes les idées
Du Paradis de Mahomet.
Isaac de Bensérade


... et des jours sans!

Pendantes & longues mamelles
Où les perles ni l'oripeau
N'imposent à pas un chapeau,
Molles & tremblantes jumelles.
Tetasses de grosses femelles
A couvrir d'un épais drapeau.
Peau bouffie & rude, moins peau
Que cuir à faire des semelles.
De vieille vache aride pis.
Que ne puis-je dire encor pis
D'un sein qui tombe en pourriture?
Sein d'où s'exhale par les airs
Un air qui corrompt la nature ;
Sein propre à nourrir des cancers.
Isaac de Bensérade

***
100_0610
"Non!" s'écria Mâtho. "Elle n'a rien d'une autre fille des hommes! As-tu vu ses grands yeux sous ses grands sourcils, comme des soleils sous des arcs de triomphe? Rappelle-toi: quand elle a paru, tous les flambeaux ont pâli. Entre les diamants de son collier, des places sursa poitrine nue resplendissaient; on sentait derrière elle comme l'odeur d'un temple, et quelque chose s'échappait de tout son être qui était plus suave que le vin et plus terrible que la mort."
Extrait de Salammbô, de Gustave Flaubert.



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100_0611Etranges images. Elles représentaient une foule de choses. Pas des choses vraies, d'autres qui leur ressemblaient. Des objets en bois qui ressemblaient à des chaises, à des sabots, d'autres objets qui ressemblaient à des plantes. Et puis deux visages: c'était le couple qui déjeunait près de moi, l'autre dimanche, à la brasserie Vézelise. Gras, chauds, sensuels, absurdes, avec les oreilles rouges. Je voyais les épaules et la gorge de la femme. De l'existence nue. Ces deux-là, -ça me fit horreur brusquement, -ces deux-là continuaient à exister quelque part dans Bouville; quelque part -au milieu de quelles odeurs? - cette gorge douce continuait à se caresser contre de fraîches étoffes, à se blottir dans les dentelles et la femme continuait à sentir sa gorge exister dans son corsage, à penser: "mes beaux nénés, mes beaux fruits", à sourire mystérieusement, attentive à l'épanouissement de ses seins qui la chatouillaient et puis j'ai crié et je me suis retrouvé les yeux grands ouverts.
La nausée, Jean-Paul Sartre, 1938.

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"Je me haussai tout palpitant pour voir le corsage et fus complètement fasciné par une gorge chastement couverte d'une gaze, mais dont les globes azurés et d'une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle." 


Honoré de Balzac (Le Lys dans la vallée, mais tout bon dictionnaire de citations à la rubrique "Seins" fera l'affaire).



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Testament à l'anglaise, Jonathan Coe


...Il valait peut-être mieux se dispenser de ce passage.
Je pouvais exactement me figurer ce que seraient les critiques de Patrick: je
m'appesantissais sur ces joliesses préliminaires pour éviter d'entre en
action.
Elle portait un
Que portait-elle?
Elle portait un chemisier
Oui?
Elle portait un chemisier de mousseline, à travers lequel
Allons, écris-le!
à travers lequel les pointes de ses seins jaillissaient comme
Comme?
comme deux cerises
comme deux cerises au marasquin
comme deux cerises confites
comme deux chocolats fourrés
comme deux larrons en foire
comme trois hommes dans un bateau
comme des prunes Victoria
comme les chutes de Victoria
comme un panaris
En tout cas, elle avait des seins. C'était très évident. Et lui, alors?
Je ne voulais pas être accusé de sexisme. J'étais obligé, me
semble-t-il, de présenter également l'homme comme un objet sexuel.
Donc, par exemple:
Son pantalon noir serré ne pouvait guère dissimuler
Ou mieux encore:
A la vue du renflement de son pantalon noir serré, elle ne pouvait
avoir aucun doute sur
son excitation
ses intentions
ses attributs
ses appendices
la nature de ses attributs
les dimensions de sa virilité
la virilité de ses dimensions
la dimension de sa pleine virilité palpitante
la pleine dimension de son membre chaud et palpitant
Je dus admettre que ça ne menait nulle part. De plus, je pouvais
toujours y revenir plus tard si je désirais peaufiner ces détails
descriptifs. Car si je n'entrais pas vite au coeur de l'action, l'élan
serait perdu.
Il lui arracha son chemisier
Non, trop agressif.
Il lui déboutonna son chemisier et le lui enleva comme
comme
comme on pèle la peau d'une banane trop mûre
Je posai mon stylo et m'enfonçai dans ma chaise avec dégoût. Que
m'arrivait-il donc? Rien ne semblait marcher. Etait-ce le vin, ou le
fait que je n'aie absolument pas l'habitude de ce genre de sujet? Je
faisais tous les faux mouvements, je trébuchais à chaque pas, et, en
tâtonnant, je n'exprimais rien d'autre que mon inexpérience.
Il posa une main timide et interrogative sur sa poitrine...
douce, laiteuse,
chaude, soyeuse,
soumise, haletante,
montante, tombante,
gonflée, saillante,
grosse, elastique,
charnue, joufflue, mafflue, ventrue, fessue, replète, bombée, vaste,
énorme, massive, monstrueuse, prodigieuse, colossale, gigantesque,
montagneuse, gargantuesque, titanesque, herculéenne
sa petite poitrine coquine
sa poitrine parfaitement proportionnée
sa poitrine aux proportions moyennes et pourtant surprenantes
sa poitrine difforme
Très bien. Oublie ça. Bois un peu plus de vin. Et maintenant réfléchis.
Imagine deux jeunes gens séduisants seuls dans une chambre avec leurs
corps comme unique distraction. Essaie de les voir en esprit. Et puis
choisis tes mots avec confiance et précision. Sois intrépide.
Il enfouit son visage dans sa poitrine généreuse, et elle enleva sa
chemise de ses épaules musclées.
Il tomba à genoux et lui renifla le nombril
il s'allongea sur elle et leurs bouches avides se mêlèrent goulûment
en un long baiser mouillé
Elle s'allongea sur lui et leurs bouches mêlées se mouillèrent
avidement en un long baiser goulu.
Et flûte!
elle haletait de désir
il crevait sa braguette
elle était humide entre les cuisses
il était humide derrière l'oreille
elle était sur le point de jouir
il ne savait pas s'il devait charger ou décharger
Et ce fut à ce point critique, alors que j'avais réussi à me plonger
dans un état d'excitation insoutenable, que le téléphone se mit à
sonner."
Extrait de Testament à l'anglaise, Jonathan Coe.


***

100_0587
Le destin miraculeux d'Edgar Mint, Brady Udall


Mrs. Whipple, une femme dont les tétons perpétuellement durcis ne manquaient jamais d'attirer l'attention de tous les garçons de l'école quand elle traversait la cour d'un pas nonchalant pour venir déjeuner avec son mari, aimait effectuer de longues marches dans les collines ou se promener en voiture sur les petites routes en terre de la réserve. Tenu à l'écart du circuit des rumeurs et des ragots du pensionnat, je devais me débrouiller seul pour décrypter d'étranges messages. Certains garçons la surnommaient "Grosse cochonne", parlaient de ses"roploplots". Dans les chiottes n°3, quelqu'un avait gravé à côté du siège un beau graffiti: Je veux téter madame Téton. Les garçons, en particulier les plus âgés, empoignaient leur entrejambe et se souriaient d'un air entendu quand elle jardinait ou, assise sur la véranda de sa vaste maison de pierre, sirotait des whiskies que lui apportait sa petite domestique bossue, Aurélia.
extrait du roman: Le destin miraculeux d'Edgar Mint, Brady Udall, 2001.



***


-Oh! Des blagues! Avec qui préfères-tu coucher? Avec moi, ou avec un squelette? Est-ce que tu n'es pas content d'être vivant? Est-ce que tu n'aimes pas sentir que ceci est toi, ceci ta main, ceci ta jambe, que tu es réel, solide, vivant? Et ça, dis, tu n'aimes pas ça?
     Elle tourna vers lui son buste et appuya contre lui sa poitrine. Il pouvait sentir, à travers la blouse, les seins lourds, mais fermes. Le corps de Julia semblait verser dans le sien un peu de sa jeunesse, de sa vigueur.
     -Oui, j'aime cela, répondit-il.
     -Alors, cesse de parler de mourir.
100_0593
Extrait de 1984, George Orwell.
***

ouiLa deuxième calèche, moins luxueuse que la première, mais aussi bien équipée, était conduite par une drôle de bonne femme. Des bras comme des jambons, la tête enveloppée d'un fichu bariolé d'où s'évadaient de grosses joues rougeaudes. Par-devant,sa blouse pouvait laisser croire qu'on n'y avait casé deux citrouilles: jamais Senka n'avait vu mamelles d'une telle opulence. 

Un extrait bien imagé d'un Grand Détective 10/18, L'amant de la mort, de Boris Akounine.


***

Les Onze


Le corsage de Suzanne s'emplit et la petite reine frileuse s'en apeura presque autant que sa mère; elles ne pensaient qu'à cette peur l'une et l'autre, mais pour s'en distraire elles s'occupaient à autre chose, aux passe-temps bénins concédés aux femmes de cette époque, tapisserie et poésie; et à ce qu'on dit elles ne sortaient guère, quelle que fût leur relative fortune à toutes les deux, c'est-à-dire celle du huguenot apostat, non pas qu'elles fussent avares ni d'aucune façon thésauriseuses, mais de l'or elles ne savaient que faire, avaient seulement placé tout cela en vignes et en bateaux à la mort du vieux et laissaient gérer, naviguer, fleurir, ayant entre elles un tout autre trésor, de don, d'amour partagé et heureux, mais étouffant comme le sont toujours les trésors, appelant de tout leur éclat la perte. Suzanne ne sortait guère, car elle était de porcelaine, sinon avec sa mère les beaux matins le long des levées, ou dans de pauvres sociétés orléanaises un peu ternes, un peu dévotes, un peu littéraires, avec des abbés sans panache et de doux anacréons de la province, mais avec aussi des amies rieuses comme elles le sont en tout lieu, laissant apparaître vraiment le lys et les roses avec des éclats de rire, partout au monde du moment qu'il y a deux jeunes filles ensemble.

Car je suis sûr qu'en dépit de ce que j'ai dit, la vie étriquée, les ternes sociétés, les abbés cacochymes à tabatière de buis, l'apeurement né de celui de sa mère et s'y conformant comme un jumeau à son jumeau, en dépit de cela je suis sûr qu'elle ne s'ennuyait aucunement, qu'elle était bonne et gaie, bonne parce que gaie, qu'elle aimait le petit perron, la petite fortune, la vie petite et pleine, et l'espoir pesant comme un ciel au printemps; car elle était une reine: c'est-à-dire quelqu'un à qui depuis sa naissance l'amour exclusif n'a jamais failli, et quand on a eu cela tout peut arriver, le ciel et l'espoir peuvent s'écrouler, on peut se perdre dans mille forêts, voir mille fois son coeur sorti de sa poitrine et foulé, la joie est toujours là, dessous, au moindre appel elle va bondir, elle reste là et attend, invincible, éclipsée seulement parfois, mais vivante, éternelle comme on disait quand ce mot avait un sens.

Cela, donc, pour ce qui dans le lys et les roses était du ressort de Bernardin de Saint-Pierre et Rousseau; pour le reste, ce qui appartenait à Sade, c'est-à-dire une sorte d'espoir aussi, de joie plus gonflée qu'un ciel, il y avait l'ombre du vieillard dont la mère ne parlait pas, mais sa poigne indubitable sous l'apparence d'un canal navigable, le sillon du désir satisfait entaillé dans la terre d'Orléans à Montargis.

Extrait de seins poussant se conformant aux us de son âge et de la société, de deux seins non pas onze, mais dans Les Onze, récit fictionnel, historique à la langue étonnante de Pierre Michon, (2009).

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Aventures d'un gourmand vagabond

A l'échelle du temps géologique, tous les humains actuellement présents sur Terre seront morts dans quelques millisecondes. Quel tribut! C'est seulement par un usage diligent du sexe et, vous l'avez deviné, de la nourriture que nous survivons à cette hécatombe foudroyante, propulsant nos infimes "Je suis" à travers l'obscurité muette de vingt milliards d'années d'histoire cosmique. A chaque coup d'oeil lancé vers des formes rebondies, à chaque bouchée savoureuse, vous dites à une pierre d'aller se faire voir, vous affirmez à une montagne que vous êtes bien vivant, à une étoile que vous existez toujours.

100_5086
Extrait d'un délicieux et poétique recueil d'articles associant toutes mes passions: la nourriture, la lecture, la politique, l'observation des oiseaux, (entre autres): Aventures d'un gourmand vagabond, du grand Jim Harrison.





***



Satan à St-Mary-le-Bow

satan98Cette cuisine, propre, sentait les herbes écrasées et les épices mises dans des pots placés sur les étagères. Au bout de la table, une mince silhouette féminine, passant presque inaperçue, étudiait un parchemin. A l'arrivée de Corbett, elle leva les yeux et glissa le parchemin sous la table. Corbett n'avait jamais vu pareille beauté: une coiffe de dentelle flamande encadrait un visage fin et mat, de grands yeux sombres, un nez parfait, des lèvres à faire damner un saint. Une mèche noire, échappée de sa coiffe, caressait une joue exquise. La jeune femme était petite et délicate, mais sa robe verte et sa ceinture dorée, loin de dissimuler la fermeté de ses seins et la minceur de sa taille, les mettaient, au contraire, en valeur.
Lorsque le géant le présenta à sa maîtresse, Corbett ne put détacher ses regards de la dame qui le dévisagea de ses yeux rieurs et lui adressa un sourire révélant des dents irréprochables ainsi que sa joie de le rencontrer.
- Eh bien, Messire Corbett, que pouvons-nous faire pour vous?
Extrait d'un roman policier médiéval, Satan à St-Mary-le-Bow, de Paul C. Doherty (collection grands détectives, 10/18, une mine pour des vacances bien achalandées).


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Clara et la pénombre

  - Pourquoi souriez-vous?
  - Excusez-moi, mais je n'arrive pas à concevoir pourquoi il est nécessaire de peindre une ouïe ou l'intérieur du nez...
  - Cela dénote un manque d'expérience, dit Friedman. Je vais vous donner un exemple. Un extérieur nocturne, tout le corps peint en noir et des gouttes de rouge phosphorescent dans les tympans, les fosses nasales, l'envers des paupières et l'urètre afin de donner l'impression que le modèle brûle de l'intérieur.
    C'était vrai, et elle fut contrariée d'avoir révélé son ignorance sur ce point.
111somoza
  - Vagin, urètre, rectum, canaux lacrymaux, rétines, bulbes pileux, glandes sudoripares, énuméra Friedman. N'importe quel endroit du corps d'une toile peut être peint. Les techniques modernes permettent également de percer l'intérieur des dents, de peindre les racines, puis, quand le tableau est remplacé, de remédier aux imperfections. Un corps peut se transformer en collage. Dans les art-shoks très violents, on peint parfois les veines et le sang pour que, lorsqu'ils sautent au cours d'une amputation, cela produis un bel effet. Et au cours des étapes finales d'un tableau taché, on peut peindre les viscères après, voire pendant l'extraction: le cerveau, le foie, les poumons, le coeur, les seins, les testicules, l'utérus et le foetus qu'il peut contenir. Vous le saviez?
  - Oui, murmura Clara, réprimant un frisson. Mais je n'ai jamais rien fait de tel.
  - Je sais, mais nous ignorons ce que l'artiste va faire avec vous. Nous devons être prêts à tout, nous attendre à tout, lui offrir tout. Je me fais comprendre?
  - Oui.
    Clara avait du mal à respirer. Elle gardait la bouche ouverte et ses joues décolorées par les dissolvants avaient rougi.


Extrait terrifiant du roman de presque science fiction Clara et la pénombre, de José Carlos Somoza (2001).
***


Une prière pour Owen

owen    Ma mère affectionnait les sweaters; elle avait une silhouette ravissante, le savait et portait ces sweaters à la mode qui la mettaient en valeur.
    Quand nous parlions entre nous des mères de nos copains, Owen se montrait d'une totale sincérité; il parlait de la mienne sans détour, et je ne lui en voulais pas parce que je connaissais on sérieux. Owen ne plaisantait jamais.
    "TA MÈRE A DE PLUS BEAUX NICHONS QUE LES AUTRES MÈRES."
    Personne d'autre n'aurait pu me dire ça sans déclencher une bagarre.
    "Tu le penses vraiment?
- ABSOLUMENT. LES PLUS BEAUX.
- Et ceux de Mrs. Wiggin?
- TROP GROS.
- Ceux de Mrs. Webster?
- TROP BAS.
- Ceux de Mrs. Merrill?
- TRÈS RIGOLOS.
- Ceux de Miss Judkins?
- J'EN SAIS RIEN. IMPOSSIBLE DE M'EN SOUVENIR. MAIS CE N'EST PAS UNE MÈRE!
- Miss Farnum?
- TU TE MOQUES DE MOI! disait-il avec humeur.
- Caroline Perkins?
- PEUT-ÊTRE UN JOUR, dit-il sérieusement. MAIS ELLE N'EST PAS ENCORE MÈRE.
- Irene Babson?
- TU VAS ME FAIRE VENIR DES BOUTONS!" grinça Owen. Il ajouta avec admiration: " TAMÈRE, C'EST LA MIEUX! ET ELLE SENT MEILLEUR QUE TOUTES LES AUTRES."
    J'étais obligé d'être d'accord: ma mère sentait délicieusement bon.
    Le buste de votre mère est un curieux sujet de conversation avec un ami, mais ma mère était réputée pour sa beauté et Owen d'une telle sincérité qu'on lui faisait volontiers confiance.
Extrait du très chrétien roman de John Irving, Une prière pour Owen, 1989.


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Qui a tué Palomino Molero?

mario- Oui, oui, les maisons des aviateurs, répéta le lieutenant Silva. C'est une piste. Maintenant ce fils de pute ne pourra pas dire que nous lui faisons perdre son temps.
Mais Lituma se rendit compte que le lieutenant, bien qu'il poursuivît sa conversation et lui parlät de son rendez-vous avec le commandant de la base aérienne, était corps et âme concentré sur les jupes voltigeantes de Dona Adriana qui balayait le local.
Ses mouvements rapides, désinvoltes soulevaient en mesure sa jupe arrondie au-dessus de ses genoux, laissant entrevoir sa grosse cuisse, ses chairs fermes, et quand elle se penchait pour ramasser les ordures, ils découvraient la naissance de ses seins, libres et orgueilleux sous la percale légère.
Extrait du roman Qui a tué Palomino Molero? de Mario Vargas Llosa, 1986.

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Orient-Express

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Il passait devant les compartiments de seconde; des hommes en manches de chemise étaient vautrés sur les banquettes, le menton bleuâtre; les femmes, leurs cheveux enfermés dans des résilles poussiéreuses semblables à des filets de poissons, serraient leurs jupes autour de leurs jambes et s'affalaient sur les coussins, vastes poitrines et cuisses maigres, poitrines plates et vastes cuisses pêle-mêle.
Extrait aperçu dans le romanOrient-Express, de Graham Greene, 1932.







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La nuit de l'oracle

    J'avais envie de me lever et de partir avant de m'être attiré des ennuis, mais je n'arrivais pas à bouger. Cette fille, c'était trop, je ne pouvais pas en détacher les yeux.
    "Tu veux danser avec moi? demanda-t-elle.
- Je ne sais pas. Sans doute. Je ne suis pas très bon danseur.
- Autre chose?
- Je ne sais pas. Eh bien, peut-être une chose... si ce n'est pas trop demander.
- Une chose?
- Je me demandais... Ca t'ennuirait beaucoup que je te touche?
- Tu veux me toucher? Bien sûr. C'est facile. Touche-moi où tu veux."
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    Je tendis la main et la promenai tout au long de son bras nu. "Tu es très timide, dit-elle. Tu ne vois pas mes seins? Mes seins sont très jolis, n'est-ce pas?"
    J'étais assez sobre pour savoir que je m'engageais sur la voie de la perdition, mais je ne me laissai pas freiner par cette conscience. J'enveloppai ses petits seins ronds de mes deux mains, que je gardai là un moment - assez longtemps pour sentir es bouts de sein se dresser.
    "Ah, c'est mieux, dit-elle. Maintenant, à moi de te toucher, d'accord?"
Pour savoir s'il est d'accord, lire La nuit de l'oracle de Paul Auster, 2004.



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American Born Chinese, Histoire d'un Chinois d'Amérique

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Expiation

Pendant plus d'une heure, à son retour du travail, il était resté allongé dans un bain tiède dont l'eau s'était réchauffée au contact de son corps bouillonnant, et, semblait-il, de ses pensées. au-dessus de lui, le rectangle de ciel encadré parcourait lentement et de bout en bout sa portion limitée du spectre, allant du jaune à l'orange, en même temps que le jeune homme passait au crible des impressions inhabituelles et revenait sans cesse sur certains souvenirs. Rien ne s'émoussait. De temps en temps, à deux centimètres au-dessous de la surface de l'eau, les muscles de son ventre se contractaient au souvenir d'un nouveau détail. Une goutte d'eau sur le haut de son bras. Humide. Une fleur brodée, une simple marguerite, cousue entre les bonnets de son soutien-gorge. Ses seins petits et largement écartés. Sur son dos, un grain de beauté à demi caché par une bretelle.
mcewan
Extrait du trop court roman Expiation, de Ian McEwan, 2001.
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La belle lurette

henricaletSophie, c'est le nom de ma mère, sortit scandaleusement de ce monde, dans la seizième année de son âge, pour s'unir par la main gauche à un quadragénaire anarchiste et tuberculeux dont on comptait les jours. Au trousseau, à la dot, à l'héritage certains elle préférait l'apostolat. C'était l'époque faux seins, faux-culs, chapeaux à fleurs et, dans l'air, traînaient encore les lourds relents du romantisme. Le sacrifice était au goût du jour.
Extrait faux-cul du poétique roman La belle lurette, d'Henri Calet (1935).

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La ville et les chiens

100_5832Car elle riait chaque fois que j'ouvrais la bouche, et d'une façon qu'il n'est pas possible d'oublier. Elle riait pour de bon, très fort et en battant des mains. Il m'arrivait de la rencontrer quand elle rentrait du collège et il n'était pas difficile de se rendre compte qu'elle était différente des autres filles, jamais décoiffée, jamais d'encre sur les mains. Ce que j'aimais le plus en elle, c'était son visage. Les jambes, elle les avait un peu grêles et on ne remarquait pas encore ses seins, si je ne me trompe, mais je crois n'avoir jamais pensé à ses jambes ni à ses seins, rien qu'à son visage. La nuit, quand je me frottais dans mon lit,  si brusquement je me souvenais d'elle j'éprouvais de la honte et j'allais uriner. Par contre, j'avais tout le temps envie de l'embrasser. A n'importe quel moment je fermais les yeux et je la voyais, je nous voyais tous les deux grands et mariés.

Court extrait de seins du roman 
La ville et les chiens, Mario Vargas Llosa, 1962.



***



















Les Grandes Espérances

dickens- Qui est là? demanda la dame assise à la table.
- Pip, madame.
- Pip?
- Le petit garçon de M. Pumblechook, madame. Je viens... pour jouer.
- Approchez, que je vous regarde. Tout près de moi.
    C'est lorsque je fus devant elle, cherchant à éviter de rencontrer ses yeux, que j'observai en détail les objets environnants et vis que sa montre était arrêtée à neuf heures moins vingt et qu'il y avait dans la pièce une pendule arrêrée à neuf heures moins vingt.
- Regardez-moi, dit Mlle Havisham. Vous n'avez pas peur d'une femme qui n'a pas vu la lumière du soleil depuis que vous êtes né?
    J'ai le regret de déclarer que je ne craignis pas de proférer l'énorme contre-vérité contenue dans le mot: Non.
- Savez-vous ce que je touche ici? demanda-t-elle, en portant ses deux mains, l'une après l'autre, à son sein gauche.
- Oui, madame. (Elle me faisait penser au jeune homme.)
- Qu'est-ce que je touche?
- Votre coeur.
- Brisé!
    Elle articula ce mot d'un air passionné, avec beaucoup d'énergie et un sourire mystérieux non dépourvu d'une sorte de fierté. Ensuite, elle garda un moment les mains posées au même endroit, puis les en ôta lentement, comme si elle en sentait le poids.
Poitrinaire extrait du délicieux roman d'enfance Les Grandes Espérances, Charles Dickens, 1861.

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Le Nom de la rose

100_0606J'ouvre un autre livre, et celui-ci me sembla de l'école hispanique. Les teintes étaient violentes, les rouges couleur sang ou feu. C'était le livre de la révélation de l'apôtre, et je tombai encore une fois, comme le soir précédent, sur la page de la mulier amicta sole. Mais il ne s'agissait pas du même livre, la miniature était différente, ici l'artiste avait plus longuement insisté sur les formes de la femme. J'en comparai le visage, le sein, les flancs flexueux avec la statue de la Vierge que j'avais vue en compagnie d'Ubertin. Le trait était différent, mais cette mulier aussi me sembla de toute beauté. Je pensai qu'il ne fallait pas que je m'attarde à ces songeries, et tournai quelques pages. Je trouvai une autre femme, mais cette fois c'était la prostituée de Babylone. Je ne fus point tant frappé par ses formes que par la pensée qu'elle aussi était une femme comme l'autre, et pourtant celle-ci était vaisseau  de tout vice, celle-là réceptacle de toute vertu. Mais les formes s'avéraient de femme dans les deux cas, et à un certain point je ne fus plus capable de comprendre ce qui les distinguait. De nouveau, j'éprouvai une agitation profonde, l'image de la Vierge de l'église se superposa à celle de la belle Marguerite. "Je suis damné!" me dis-je. Ou: "Je suis fou." Et décidai que je ne pouvais plus rester dans la bibliothèque.
Extrait de l'excellent roman Le Nom de la rose, d'Umberto Eco, 1980.
Avec en prime une magnifique scène de sexe débridé resucée du Cantique des Cantiques des pages 265 à 268 (Le Livre de Poche), chapitre "Après complies" du Troisième Jour.

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Les clowns lyriques

100_0607- Bande de salauds, murmura-t-il, en pensant à tout ce qui était haine et guerre. Je ne sais même pas ce qu'ils veulent défendre...
- Je ne veux rien défendre, dit Ann, résolument. Pas en ce moment. On dirait que, dès qu'une idée prend corps, elle devient cadavre...
- Mais non. Lorsqu'une idée prend vraiment corps, elle devient femme...
Il s'écarta un peu, regarda ses seins, les sourcils froncés, avec énormément de gravité, et Ann essayait de ne pas rire, parce qu'elle sentait que, dans sa main, ses seins devenaient déjà un contenu idéologique, quelque chose comme deux petits Occidents jumeaux.
Extrait du roman Les clowns lyriques, de Romain Gary.


***




Le baiser sur les seins

pierrelouysAprès les grands efforts, quand les doigts apaisés
Tremblent encore un peu comme au frisson des fièvres
C'est la chaleur des seins qui tente les baisers
La gorge maternelle est douce aux faibles lèvres
Sous la Victorieuse au torse triomphant
Qui lui châtra la Jouissance et la pensée,
L'homme se fait câlin comme un petit enfant
Et sur les seins cléments met sa bouche lassée
Mais il ne tente plus comme  au cours du combat
De mordre méchamment les chairs endolories
Et d'arracher du lait aux mamelles taries
Non. Il écoute nonchalant le coeur qui bat -
Laisse dormir sa joue entre les seins -, et touche
La chair souple qui roule et cède sous la bouche.
1889,
5-8 novembre 1890,
corr. le 3 mars 1891.
Pierre Louÿs,
"Et ta bouche en peau de lys..."
Poèmes érotiques illustrés par 141 photos inconvenantes, éditions de l'aube, 2006.
attention! vente interdite aux mineurs!

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Bouvard et Pécuchet

  pecuchet89
Ensuite, elle blâma, vu l'inconvenance, le décolletage de la dame en perruque poudrée.
  -"Où est le mal?" reprit Bouvard, "quand on possède quelque chose de beau?" et il ajouta plus bas : "Comme vous, je suis sûr?"
  Le notaire leur tournait le dos, étudiant les branches de la famille Croixmare. Elle ne répondit rien, mais se mit  à jouer avec sa longue chaîne de montre. Ses seins bombaient le taffetas noir de son corsage; et les cils un peu rapprochés, elle baissait le menton, comme une tourterelle qui se rengorge.
Puis d'un air ingénu:
  -"Comment s'appelait cette dame?"
Pour le savoir, il suffit de lire le drôlissime roman de Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet , 1872, jamais vraiment fini et publié post-mortem en 1880.

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Thinks

lodge596Il était bien, le topo d'Isabel à San Diego sur la modélisation des objets à trois dimensions, elle m'en avait envoyé le texte après coup, ça c'est une vraie scientifique, tu la rends folle de jouissance dans sa chambre d'hôtel et ensuite elle t'envoie en souvenir une copie de sa communication...
Morte à présent cette pauvre Isabel Hotchkiss, cancer du sein m'a-t-on dit, saloperie, qui voudrait être une femme, une chance sur douze que ses seins la tuent ou qu'ils essaient... Et en plus ils étaient beaux, decharmants objets tridimensionnelsje me souviens de lui avoir dit en lui enlevant son soutien-gorge et en les prenant dans mes mains... il faut que je cherche  cette microcassette si je ne l'ai pas effacée, j'aimerais la réécouter en me branlant à la mémoire d'Isabel Hotchkiss.
Extrait intéressant du roman Pensées secrètes, de David Lodge, 2001.
***


Le sein

philiprothLes extraits littéraires que je propose dans cette catégorie qui n'a jamais si bien porté son nom,Trésors freudiens de la littérature, évoquent donc systématiquement les seins.
D'une manière ou d'une autre, dans quasiment tous les romans que je lis, de George Orwell à Balzac, en passant par Paul Auster, Mario Vargas Llosa, Graham Greene et Flaubert, je trouve un passage évoquant le sein: de manière anecdotique, pour planter le décor ou se moquer d'un personnage; de manière plus symbolique, tant le sein représente la vie, le sexe, l'opulence, le désir, la mère, l'amour, la femme.
Dans ce  court roman de Philip Roth, Le sein, il devient le thème principal (on peut même dire le personnage principal, si ce n'est... le narrateur!).
Le sein de Philip Roth vit, dort, se fait laver, parle avec son père, se demande comment poursuivre sa carrière, veut pénétrer une femme (mais pas un homme, il n'est pas homosexuel), car le téton (le tétin!) de ce sein a été, plus tôt dans sa vie, rien de moins qu'un pénis.
Le sein, attribut féminin par excellence, cherche ici à analyser et comprendre le fait d'être un homme (le sens de la vie quoi).
Vous avouerez qu'on ne peut pas aller plus loin dans le trésor freudien...
C'est absurde comme Le Nez, c'est bizarre comme La Métamorphose, c'est drôle, intéressant et profond comme tous les romans de Philip Roth.
Vive le nichon, quoi.



***














Un tout petit monde

"C'est lui Swallow, dit Dempsey. - Quoi? dit Persse, sortant doucement de son extase. - C'est Swallow le type qui baratine cette fille plutôt sexy qui vient d'entrer, celle qui est vêtue d'une robe noire, ou devrais-je dire plutôt à demi dévêtue? Swallow a l'air de se rincer l'oeil, vous ne trouvez pas?"
Persse rougit et se raidit, mû par un désir chevaleresque de protéger cette fille contre toute insulte. Le professeur Swallow, penché en avant pour scruter le badge sur la robe, semblait en effet plonger effrontément son regard dans le décolleté de la fille.
"Une jolie paire de nichons, qu'en dites-vous?" fit remarquer Dempsey.
Persse le mitrailla des yeux, l'air furieux. "Nichons? Nichons? Pourquoi au nom du ciel les appeler comme ça?"
Dempsey recula légèrement. "Du calme, du calme. Comment les appeleriez-vous, alors?
- Je les appellerais... Je les appellerais... les dômes du temple de son corps, dit Persse.
- Seigneur Jésus, vous êtes un vrai poète! Bon, excusez-moi, je crois que je vais aller prendre un autre sherry pendant qu'il en est encore temps."
Extrait du roman "Un tout petit monde", de David Lodge, 1984.




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I got my mogette working

- Tu ne sais même pas qui est Yvonne Furneaux. Tu préfères Hegel à Spinoza. Coluche à Emmett Grogan. Serrault à Poiret. Manchette à Lebrun. La Corse à la Sardaigne. La Zubrowska à l'Absolute. Simone Signoret à Viviane Romance. Les fesses aux seins. Le Vitascorbol à la Laroscorbine.  Tintin à Spirou et Astérix à Ranxerox. La rive gauche à la rive droite. Le bus au métro.  Groucho à Harpo. Nantes à Saint-Nazaire. Truffaut à Godart, Alain Minc à Bourdieu. Mozart à Haydn. Le Corbusier à Wright. Porquerolles à Belle-Ile...
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J'ai repris mon souffle. Adrien était hilare.
- Continue, c'est instructif, cette dialectique de bazar...
Extrait de la nouvelle "I got my mogette working", en onzième position dans le recueil Les roubignoles du destin de Jean-Bernard Pouy, 2001, Folio Policier.







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Nouvelles du paradis

100_0603La Daphné sans vêtements était une créature toute différente de la Daphné caparaçonnée dans son uniforme amidonné d'infirmière, ou enveloppée dans ses robes de dame et ses sous-vêtements invisibles. L'image que j'avais de la nudité féminine, pour autant que je me la représentais, c'était quelque chose de chaste, de classique et d'idéal, une image empruntée, j'imagine, à la Vénus de Milo ou à la Vénus de Botticelli. Daphné nue était davantage une version grandeur nature d'une de ces figurines  représentant la fertilité féminine que l'on trouve dans les collections d'objets exotiques des musées d'ethnologie, avec d'énormes mamelles, des ventres rebondis et des fesses protubérentes, grossièrement sculptées dans le bois ou modelées dans de l'argile. Un amant plus viril et plus sûr de lui aurait pu faire ses délices de cette luxurience charnelle, mais moi j'étais intimidé.
Extrait du roman Nouvelles du paradis, de David Lodge (prolifique auteur de trésors freudiens!).