jeudi 23 mars 2006

L'art de la sieste


Postulat de départ : avoir six bonnes heures de désert social de qualité devant soi.
Je vous l’accorde, c’est un luxe.
Un luxe financé à l’occasion par la détresse du jeune (ah le jeune…) soucieux de travailler (comme ce paradoxe est intellectuellement stimulant !); en effet, les joies printanières que nous devons aux mouvements anti-CPE permettent à certains d’entre nous de se complaire enfin dans un sybaritisme de bon aloi. Certes se déclarer en grève pour dormir plutôt que pour se faire fracasser la tête par des CRS-SS, c’est un peu limite, politiquement. Cela correspond néanmoins totalement à mon code de déviance personnel, d’autant que je gestationne, rappelle-je subrepticement.
Comme j'ai la prétention d'en connaître un rayon question sommeil de jour, j'ai décidé de vous faire un petit laïus sur l'art de la sieste.

Donc.
Une fois le préavis posé, viennent les choses sérieuses.

D’un point de vue technique, veiller à la qualité de la literie : matelas ferme, draps frais et légèrement parfumés grâce à une légère brume d’oreiller au muguet, couette moelleuse et oreillers de duvet d’oie.

Se vêtir légèrement pour ne pas entraver les mouvements dans le sommeil ; il n’est pas nécessaire d’être en pyjama ou totalement dévêtu, il s’agit bien d’une sieste, pour dormir (que les choses soient claires); il conviendra donc de trouver une tenue adéquate répondant aux impératifs de la chose : rien d’aguichant, au contraire, un total look confort, limite un peu moche ou crade, comme quand vous êtes grippé et que vous rampez jusqu’à la cuisine pour boire un bouillon au thym frais.

Téléphones débranchés et/ou éteints (même pas sur vibreur, malheureux !) ; réveil éteint (un accident est vite arrivé) ; chat éloigné ; quelqu’un de prévu pour chercher le petit à l’école à 16h ; saag paneer déjà livré pour le goûter au réveil. (Le saag paneer est un délicieux plat traditionnel végétarien pakistanais, un curry d’épinards au fromage moyennement épicé et servi avec le fameux riz basmati.)

A portée de main, une bouteille d’eau fraîche et goutteleuse et un paquet de mouchoirs, le tout pour éviter d’avoir à se lever ou à se moucher dans les draps, et puis un livre intéressant mais un peu chiant à lire au lit, du genre La géographie ça sert d’abord à faire la guerre d’Yves Lacoste ou Les rois thaumaturges de Marc Bloch (ou ce que vous voulez, selon vos centres d’intérêts dans la vie, vous êtes grand après tout, chacun prend ses responsabilités).

Volets fermés mais, attention, pas en entier : la lumière du jour doit filtrer sur les reliefs de votre couche, c’est essentiel pour ressentir avec délices la victoire de notre sommeil sur la nature et le cours des choses. Là dehors, le monde bouge, le soleil brille, des affaires se concluent, les uns déjeunent de cassolettes d’écrevisses, d’autres vilipendent la révolution en salle fumeurs, d’autres encore en appellent, s’égosillant, à la guillotine pour les nobles défenseurs de l’esclavagisme moderne.

J’ai oublié de préciser que, particulièrement si vous êtes enceinte, il faut éviter de boire un thé avant de procéder à votre sieste, sinon il y a fort à parier qu’au bout d’une heure à peine votre vessie vous tiraillera, et ce serait vraiment du gâchis (on sent le poids du vécu, n’est-ce pas).

artdelasieste1Allez-y maintenant. Vous pouvez sucer votre pouce, et dodo.
Si vous êtes dans de bonnes dispositions, une sieste de quatre heures me semble envisageable.
A la rigueur, essayez de vous remuez un brin le matin ou de manger une raclette le midi, histoire de mettre toutes les chances de votre côté, auquel cas un athlète de haut niveau (c'est à dire qui dort en plus de ça dix heures par nuit) pourra tenter le cinq-six heures. Enfin honnêtement, c'est du niveau de compétition, à ce moment-là.

Je vous conseille, et là c’est la professionnelle qui parle, de dormir seul(e) ; en effet, il ne sera pas rare que votre compagnon de fortune, non content d'avoir essayé de procéder à des rapports crapuleux, se permette en plus de vous voler le sommeil, c’est mathématique, et c’est une injustice suprême !

Vous m’objecterez le peu de spontanéité de l’entreprise ; certes. Cela dit, l’harmonie et la joie peuvent aussi s’acoquiner avec un sens aigu de l’organisation. Mais tout de même, je ferai un cours sur l’art de la sieste spontanée très bientôt.