jeudi 4 octobre 2007

Olympia



olympiaRegardez donc cette toute petite chose qui doit faire pas loin d’un mètre quarante-sept, l’insondable profondeur de ses grands yeux noirs, cette chevelure de feu, ces oreilles, eh bien, intéressantes, ces petits doigts boudinés, son petit ventre rebondi, ses jambes potelées, ses épaules délicates, et… le reste, oui, bien entendu, pas d’affolement, nous y viendrons (comme souvent, nous nous nounoyons aujourd’hui).
En colo à Gérardmer (dans les Vosges), au cœur de collines perclues de jonquilles, les garçons lui donnaient toujours les petits cubes d’emmenthal qu’ils trouvaient dans leur salade mêlée pour lui prouver leur dévouement, et lui assurer que oui, c’était, sans conteste, bien elle la plus belle. Celui qui se montrait le plus prodigue gagnait le droit de regarder ses culottes Petit Bateau, et ses nichons ; elle leur aurait bien concédé une séance de galoches en prime, mais à l’époque elle ne soupçonnait pas l’existence de telles pratiques, voilà le lot des enfants surprotégés par des parents envahissants.
La charmante Victorine jouissait donc déjà très jeune d'une nature généreuse et sans fausse pudeur, et tout naturellement, vers quinze ans, elle offrit, dans un élan de fulgurance bien compréhensible au vu de son âge sensible, son cœur et son corps au bel Edouard M., l’artiste le plus talentueux de son temps selon Baudelaire et nous-même.
Il n’avait jusqu’alors pas eu la vie facile, le pauvre, parce que tout son travail déclenchait l’effroi, l’hilarité, la stupeur et même l’émerveillement (mais honnêtement ça, c’était plus rare).
L’assidue fréquentation de la jeune Victorine rassurait un peu l’homme légèrement neurasthénique (c’est la croix de tous les grands génies, que voulez-vous), car elle avait toujours le mot pour rire et aimait faire l’originale, ce qui était un agréable moyen d’animer le quotidien.
Par exemple, elle traînait dans son sillage un petit chat de gouttière, noir comme la mort qui répondait au doux nom de Marcelle Appenzzell, parce qu’elle trouvait que ça donnait un genre sorcière chic et marrant (d’ailleurs on aperçoit la bête effarouchée au bout du lit, regardez bien, Edouard avait le sens du détail, ça compte, dans la vie d'un peintre). Il faut dire qu’il aurait eu du mal à l'oublier, la petite chatte, vu le bruit insupportable qu’elle faisait la nuit en grattant les portes, jusqu’à ce qu’on lui ouvre et qu’elle se mette à grignoter avec soin les boucles de Victorine, qui connaissait déjà assez de soucis comme ça avec ses cheveux la pauvre.
Ainsi donc, elle avait de la vie plein les seins, et Edouard les aimait, et voulait le crier au monde, ce qu’il fit ; en retour on l’a hué, on l’a méprisé pour cette nudité crue et naïve , on lui a dit des horreurs, vous savez, même Zola y est allé de ses petites phrases vilaines, et le Salon de 1865 reste un bien mauvais souvenir pour Manet et Victorine (imaginez-la !), quoique ce ne soit pas le seul, Dieu protège leurs âmes tourmentées.
Après cette douloureuse expérience, Victorine est partie seule faire le point pendant quinze jours au Club Med de Marrakech, en sirotant des Maï-Taï on the rocks apportés par un boy du cru fortement impressionné par la manie du topless de la jeune fille qui n’aimait pas tellement les zébrures sur la peau (au cas où elle ferait à nouveau la modèle pour un autre impressionniste, à Giverny, l’hiver venu).
La suite de son histoire, il ne m’appartient pas de vous la révéler, mais sachez que si ça s’est vraiment mal fini (elle montrait des singes sur la butte Montmartre, vérifiez si vous voulez), sa poitrine fut épargnée, et le médecin-légiste chargé de clore le dossier en parlait encore, mémoire vivace et larme à l’œil, bien des années après.

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